A propos de "Vukovar et papillon"
Mise en scène : Saïda Mezgueldi (2008)
Avec : Mélina Bomal comédienne
Séverine Allarousse et Chloé Hernandez à la danse
Musique : Marianne Monnier (guitare) et Catherine Basson (violon)
Montage vidéo / bande son : Sylvère Petit
Décor : Claude Georges
Adaptation de "Nous ne verrons jamais Vukovar" de Louise L. Lambrichs
Pourquoi avez vous choisi de mettre en scène "Nous ne verrons jamais Vukovar" :
Tout d’abord ma rencontre avec Louise L. Lambrichs au cours de l’adaptation de son roman journal d’Hannah en 2006. Elle achève alors le dernier volet de sa trilogie concernant la guerre en ex Yougoslavie. La lecture de cette œuvre me captive et produit en moi une prise de conscience brutale, assortie d’un sentiment de profonde indignation. Comment est-il possible qu’à deux heures et demi de Paris, en Europe, alors que j’étais une jeune mère de 21 ans, se soit déroulée une guerre atroce et même - cinquante an ans après la Shoah - un génocide officiellement reconnu qui s’est abattu cette fois sur les musulmans de Bosnie ? Le livre de Louise L.Lambrichs m’éclairait enfin sur un conflit auquel je n’avais jusqu’ici rien compris. Et du coup, j’ai eu envie d’aller voir sur place, de vérifier en quelque sorte, pour comprendre par moi-même ce qui, vu de France, semblait incroyable.
Au cours de mon voyage en Bosnie et en Croatie en Juillet 2007, j’ai pu mettre des images, des voix sur ces évènements, j’ai pu entendre de multiples témoignages sur cette guerre, j’ai participé avec 2300 personnes à la marche de commémoration du massacre de Srebrenica, à l’exhumation des charniers, au défilé des cercueils…et toutes ces expériences et ces nouvelles rencontres ont confirmé le sentiment que j’avais éprouvé au cours de la lecture : l’interprétation de Louise L.Lambrichs était juste.
Cette découverte m’a donné envie de mettre en scène cette voix qu’elle fait vibrer dans Nous ne verrons jamais Vukovar, et de la faire entendre, car cet engagement est aussi, jusque dans sa véhémence, une parole de paix, de construction et de transmission. J’ai donc eu envie de la colporter, à ma façon, avec mes propres moyens artistiques, le plus largement possible.
C’est par la création que je m’engage aujourd’hui en tant que femme issue d’une famille musulmane, citoyenne française, et artiste.
Quelle place occupe Vukovar et papillon dans votre parcours artistique :
Vukovar et papillon est l’adaptation théâtrale du travail d’éclairage fait par Louise L. Lambrichs dans ses deux livres Nous ne verrons jamais Vukovar (ed. Philippe Rey, 2005) et L’effet papillon (Inventaire/invention, 2007). Ce nouveau projet est pour moi à la fois un prolongement et un approfondissement de La Louve (mise en scène en 2006). Ma précédente création évoquait la femme, sa difficulté à être et à se reconnaître comme force créatrice, à naître comme actrice de son existence.
Avec Vukovar et papillon, nous passons du stade de l’éveil à celui de l’engagement.
L'engagement de l’écrivain tout d’abord, car le texte de Louise L. Lambrichs est animé par une réflexion sur le rôle et la responsabilité de l’écrivain à l’égard de ses contemporains et des générations futures.
L’engagement du citoyen ensuite, de la femme en particulier, consciente de son appartenance à l’humanité dont la voix s’élève pour réclamer non seulement la vérité, mais la justice (elles ne vont pas toujours de pair).
Un engagement porté par le devoir de vigilance et la conscience de la nécessité d’un travail de mémoire partagé, seul capable d’éclairer les esprits.
C’est la voix de la comédienne qui donne son unité à ce récit, clair et très rythmé. Une voix franche et véhémente qui emporte le lecteur, car elle expose clairement les enjeux de cette guerre, nous fait pénétrer dans ses rouages et permet de comprendre comment, cinquante ans après la Shoah, un nouveau génocide a pu avoir lieu en Europe.
Sa vision des évènements, personnelle et audacieuse, est sans narcissisme ni myopie.
La mise en évidence des dénis historiques qui ont engendré cette forme de répétition catastrophique constitue le cœur de ce texte. L’argumentation convaincante de l’auteur lève le voile sur les manipulations de la mémoire collective et les mythes qui alimentent les propagandes, existent la haine et conduisent à la guerre. Au lieu d’un récit purement chronologique, la comédienne raconte dans un seul souffle très enlevé les évènements marquants et les mécanismes en œuvre. On est dans un va et vient permanent entre les faits et leur interprétation grâce au recours à la psychanalyse, à la littérature et à l’histoire. un va-et-vient qui progressivement donne du sens à ces évènements souvent perçus comme absurdes.
L’une des grandes qualités de ce récit porté par la voix réside dans sa hauteur de vue, son engagement et sa pertinence. C’est aussi un acte de générosité, porté par une volonté de partager sa réflexion, de lever un à un les voiles du mensonge afin de permettre l’instauration d’une paix durable entre les peuples, dans les Balkans mais aussi dans toute l’Europe.
Mon travail n’a de cesse de mettre en résonance différentes formes d’expression artistique . En effet, la confrontation de ces différents langages (textuel, gestuel, pictural, corporel, etc.) produit des effets d’échos riches d’une ouverture qui n’appartient peut-être qu’à la dimension polymorphe de la création théâtrale, spectaculaire.
C’est aussi un moyen de permettre à chacun de s’orienter suivant sa propre sensibilité artistique, de trouver ses propres repères, puis d’aborder insensiblement d’autres formes moins familières pour devenir réceptif à une lecture plus fine, plus palpable.
Comment l'avez-vous mis en scène :
J'ai fait le choix de mêler des modes d'expression différents pour que le texte soit reçu par tous en fonction de sa sensibilité et cela correspond aussi à la réalité d'un monde saturé de médias (images, sons...). L’idée est de tisser des liens entre ces éléments qui se croisent, se superposent, s'additionnent pour offrir ainsi un tableau original, à la fois singulier et pluriel.
J'ai construit cette pièce comme un puzzle en créant de multiples ambiances.
Le propos est une conversation à bâtons rompus, sous la forme d’un dialogue où l’autre- celui qui l’interrompt- reste inaudible. IL est
parfois martelé, énoncé à la manière d'un commentaire sportif pour prendre ensuite la forme d'un slam... Des clins d'oeil furtifs à Chaplin ou à Tati sont autant de touches burlesques qui tranchent avec la gravité du sujet.
La pièce débute par la fin du texte de Louise L.Lambrichs ou elle exprime son "rêve de papillon".
Pour bâtir ma première partie, je me suis appuyée sur une phrase qui m'a interpelé. Comment lis tu ? avec les yeux ?
Moi ? pas du tout. Mes oreilles . Les yeux, c'est juste pour l'espace pour respirer.
Dès lors, il m'a paru évident de mettre en scène un univers sonore où les différentes voix de l'auteur, de la comédienne et du metteur en scène se tissent.
La danseuse apparaît tout à la fois sur scène et au travers de la vidéo, elle est mémoire du corps, porteuse de la solitude et de la souffrance de tout ceux qui ont vécu cette guerre. Sa chorégraphie s’articule autour d’une réflexion sur la trace, l’emprunte. Les musiciennes accompagnent le texte en lui donnant une dimension itinérante.
Le décor est constitué de toiles abstraites fragmentées, rassemblées pour tenter de n’en faire qu’une, trouée toujours, traversée de failles, sur le thème du deuil.
La vidéo alterne des images de la marche commémorative Tusla /Srebrenica et de la danseuse.